La modernité comme méthode et non comme objectif
Avec son style de cuisine scientifique, Andrea Camastra est le chef italien qui, à Varsovie, en Pologne, réinterprète la tradition gastronomique polonaise avec une touche contemporaine via des techniques culinaires modernes et sa propre perspicacité. Selon lui, pour profiter de la véritable nourriture du pays, il est nécessaire de quitter la ville pour aller à la campagne et savourer des repas faits maison. C’est précisément vers cela que le chef apulien, originaire de Monopoli, Bari, a concentré son attention.
Pour comprendre son art culinaire, il faut étudier la connexion profonde entre la cuisine polonaise et la cuisine du chef, et la façon dont elles se combinent avec sa passion pour la science appliquée à la cuisine. Camastra adopte l’étude du chimiste français Hervé This sur la gastronomie moléculaire et sa cuisine « note par note ». Cette technique gastronomique particulière commence par une analyse approfondie des molécules qui composent les ingrédients donnés afin de comprendre lesquelles sont responsables du goût. Ensuite, ces molécules sont extraites et utilisées pour donner le goût spécifique à un repas, ou assemblées avec des particules d’autres aliments afin de créer de nouvelles saveurs inexistantes dans la nature. Toutefois, pour Camastra, la modernité est sa méthode mais pas son objectif.
Grâce à l’utilisation de la technologie et à une approche dépourvue de préjugés, le chef Camastra plonge dans les traditions et les pratiques de la cuisine polonaise, en la libérant du superflu pour atteindre l’essence de chaque plat. Ses interprétations du rosół, le bouillon typique du déjeuner du dimanche pour de nombreuses familles polonaises, et le gulasz, le fameux ragoût de bœuf d’Europe centrale, transmettent les saveurs uniques qui évoquent des souvenirs et suscitent des émotions. Le chef parcourt avec courage toutes les dimensions de la cuisine polonaise, des plats les plus contemporains aux plus raffinés, sans oublier les plus rustiques. Par exemple, son ‘troć wędrowna’ (truite de mer) aux amandes, poivron vert et safran est un hommage au rôle de la Pologne dans le transit des épices et autres délices exotiques
Dans son restaurant étoilé au Michelin, le Senses, à Varsovie, le repas commence par un ‘chłab ze smalcem’ (pain et lard), une entrée typique attendue par la plupart des clients en Pologne, ainsi que d’autres classiques de la cuisine locale traditionnelle comme le ‘mizeria’, un plat à base de concombre, de crème fraîche et d’aneth. Sans oublier le ‘oscypek’, un fromage traditionnel des montagnes des Tatras et un classique des foires de rue, habituellement cuisiné sur le grill et servi avec de la sauce aux canneberges. Tous ces plats, enrichis par l’approche moléculaire, sont transformés en sphères : une capsule qui éclate en bouche pour libérer la saveur familière qui vous ramènera immédiatement dans la cuisine de votre grand-mère.
Après le succès de Senses, qui a fermé ses portes lors de la pandémie, et l’obtention d’une étoile au Michelin, le chef a ouvert Nuta, inspiré de la cuisine polonaise et aux accents italiens, agrémenté d’une subtile touche asiatique. Ici, à l’intérieur du prestigieux bâtiment Ethos, Plac Trzech Krzyży, l’une des principales places de Varsovie, le chef italo-polonais exprime sa créativité à travers deux menus : le “Virtuoso”, une introduction au monde de la haute gastronomie, et le « Maestro », la reconnaissance ultime de sa carrière.
En cuisine, Camastra aime écouter de la musique, étant lui-même musicien depuis l’âge de huit ans. Le chef considère l’apprentissage et l’art comme les principales sources de son inspiration et de sa créativité culinaires. Alors que le débat s’anime autour de l’identité culinaire polonaise et de sa tension entre tradition et innovation, Camastra fait des choix qui, même s’ils peuvent sembler iconoclastes, révèlent un profond respect et amour pour la nourriture de ce pays.